LES MUSÉES,
NOUVEL « INSTRUMENT »
DIPLOMATIQUE DU GOLFE
Riches en hydrocarbures, dont elles sont dépendantes, les monarchies du Golfe cherchent à diversifier leurs ressources tout en existant sur la scène internationale. Elles se tournent ainsi vers le tourisme et la culture, plus spécifiquement vers ces hauts lieux que représentent les musées, à l’image du Louvre, qui a ouvert une “filiale” en 2017 à Abou Dhabi.
Les monarchies du Golfe représentent l’un des trois bassins récepteurs mondiaux de migrants avec l’Amérique du Nord et l’Europe Occidentale. Cela implique une diversité de populations ; on a ainsi vu, dès les années 1960-1970, une première vague d’implantation de musées nationaux dans ces pays, avec pour but de construire puis de consolider l’idée d’une identité nationale, d’un récit national.
MODERNITÉ & IMAGINAIRE ARABE
De nos jours, les Etats mettent en place des stratégies politiques afin de créer des pôles attractifs et culturels façonnés par des architectures emblématiques. Cela incite de grandes institutions connues dans le monde entier, à se décentrer dans le Golfe pour répondre aux demandes des monarchies. Ces stratégies servent un discours politique et social que tout Etat prône lorsqu’il entame une transformation profonde de sa société. Grâce à l’implantation de musées, elles peuvent alors servir la nouvelle génération et lui offrir une autre manière de concevoir le monde.
Au Qatar par exemple, les dirigeants considèrent que l’instruction et la connaissance que confère un musée, pourraient s’infuser dans la société et aider à une évolution de la représentation que se fait l’Occident de l’Emirat[1].
Au-delà d’être un faire-valoir qui s’appuie sur un discours occidental, l’architecture du musée fait écho à un imaginaire du territoire arabe, soulevant la question de la modernité sans pour autant adopter la culture occidentale. Pour cela, le choix des architectes a un rôle important dans la concurrence de ces monarchies. C’est ainsi que le français Jean Nouvel a conçu le Musée National du Qatar telle une rose des sables, et le Louvre Abou Dhabi comme une Médina. Également à Abou Dhabi, le projet du Guggenheim, pensé par l’américain Frank Gehry, doit ouvrir en 2022, et le Musée National Zayed, conçu par Norman Foster avec l’expertise du British Museum, rappelle les ailes d’un faucon, emblème de l’Emirat.
La construction de musées et d’autres institutions culturelles dans le Golfe offre une mise en lumière aussi bien pour la ville que pour la région à proprement parler : Sharjah a été “capitale arabe de la culture” en 1998, tout comme Riyad en 2000, Doha en 2010 et Manama en 2012.
Mais la région reste instable et les tensions sont fortes, y compris entre les membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). C’est ainsi qu’en 2017, alors que le Qatar est accusé de soutenir Les Frères Musulmans et l’Iran, l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis rompent tout contact avec Doha. Cela se traduit, par exemple, par un “oubli” de mentionner l’Emirat sur une carte de la région, lors de l’inauguration de Louvre Abou Dhabi.
LA PLACE DE LA FRANCE
Cette rupture s’inscrit dans une mise en concurrence plus large – économique, militaire, diplomatique – entre le Qatar, davantage tourné vers les arts, secteur dans lequel il investit un milliard de Dollars par an, d’une part, et l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, d’autre part, pour envisager l’après-pétrole et les relations économiques avec les pays étrangers. Ils mettent en place des projets – Exposition Universelle de Dubaï entre octobre 2020 et avril 2021, la “Vision 2030” saoudienne, entre autres – avec pour objectif d’être un hub culturel pour bénéficier des retombées des activités touristiques et participer au développement local.
La communication autour de l’art et de la culture est essentielle et use des techniques de marketing territorial porté par des partenariats ciblés et bilatéraux – accord de 2007 entre les Emirats Arabes Unis et la France, qui en signe également un avec l’Arabie Saoudite en 2018. Ces accords légitimisent leur attractivité et leur capacité à financer des institutions réputées, affirmant que les échanges entre pays se veulent géostratégiques et économiques, notamment pour la France. Ils permettent aux institutions françaises autant de proposer leurs compétences et expertises, que d’engranger une entrée d’argent pour parfaire leur réputation mondiale à la suite des baisses des subventions publiques depuis les années 1990. Ainsi, les politiques culturelles s’inscrivent dans un système plus large qui inclut les enjeux de la sécurité. L’implantation en France sert autant les Emirats Arabes Unis pour défendre leur essor économique face à des concurrents comme l’Iran et l’Arabie Saoudite, que l’Hexagone dans les ouvertures de marchés – Thales, Total.
Les musées peuvent être considérés comme des réponses aux enjeux régionaux. Leur implantation oblige les pays à négocier avec des partenaires internationaux pour être en accord avec les nouveaux standards du Golfe. Mais la construction de musées pose des questions en termes de limite et de censure face à une institution pensée par l’Occident, et qui cherche à se réinventer comme outil d’influence. La Chine l’a bien compris avec l’ouverture d’un Centre Pompidou à Shangaï, en novembre 2019.
Sources : CARTO, le Monde en cartes, numéro 58 – mars/avril 2020.
[1] Alexandre Kazerouni, Le miroir des Cheikhs : Musée et politique dans les principautés du Golfe Persique, PUF, 2017.